Nouvelle chronique Eat Like Staff Meal chez l'astrance avec le chef Pascal Barbot et son équipe.
9h45
Dans les terres auvergnates, on trouve une fleur dont la finesse n’a d’égal que sa beauté. Délicate néanmoins robuste, cette fleur s’appelle l’astrance. Dans le 16e arrondissement de Paris, on retrouve la dite fleur, cette fois-ci avec un grand A et moins de volcans. Nous voilà devant l’Astrance, restaurant étoilé de l’illustre chef Pascal Barbot et de son associé et ami de 25 ans Christophe Rohat.
Cette fleur, on la retrouve subtilement dispersée dans la décoration du restaurant et brodée sur le tablier du chef, qui nous accueille avec un sourire alors que nous traversons la salle de service pour entrer dans la cuisine.
Au premier coup d'œil, on observe une organisation de l’espace parfaitement huilée, de multiples stations équipées avec la fine fleur (encore elle!) des accessoires de cuisine et des outils de travail flambants neufs, et évidemment toute une brigade vêtue du blanc pur de l’excellence.
Nos premiers pas nous amènent directement à la rencontre de Jonathan, le sous-chef, en pleine préparation de parmigiana pour le staff meal de vendredi. “Clarita ma chérie, tu peux me mettre un peu de farine là dedans, s’il te plait ?” lance-t-il en lui tendant un bac d’aubergines finement tranchées qui dégorgeaient depuis la veille.
Nous sommes instantanément plongés dans l’ambiance joviale de cette brigade.
On nous explique rapidement l’organisation de leur staff meal : tous les vendredis soirs, ils se réunissent et prévoient ce qu’ils vont cuisiner pour toute la semaine suivante, repas par repas.Chaque cuisinier choisit son jour et s’occupera du repas d’équipe ce jour-là, puis un planning des repas est mis en place et affiché dans la cuisine.
“Le staff meal c’est l’organisation d’un traiteur” avance Jonathan, impliquant à demi-mots une certaine contradiction. Cuisiner pour le personnel rime avec rigueur, anticipation et rationalité, et s’opposerait presque à l’approche créative, spontanée et minutieuse du restaurant gastronomique.
9h52
Dès le début, on comprend qu’à l'Astrance, on ne rigole pas avec le staff meal : “c’est nous les premiers clients du restaurant !” explique Jean, chef de partie, en signalant l'implication de chacun dans l’élaboration des menus mais aussi dans leur dégustation ;)
“Christophe et Pascal nous laissent le champ libre sur le staff meal. Tant qu’on mange bien, c’est ce qu’ils demandent. On prête vraiment attention au personnel, donc ça change tout quoi. Quand c’est le personnel qui décide de ce qu’il mange, en général, tu manges bien.”
Et quoi de mieux pour prendre soin du personnel que de consacrer un espace dédié au staff meal ? Lorsque l'Astrance a déménagé rue de Longchamp il y a trois ans, Pascal et Christophe ont acheté un autre restaurant en face, qui ne sert qu’à l’équipe pour ses repas. Du jamais vu !
10h10
La préparation du pressé de queue de bœuf est lancée pour le picnic de samedi : sortie d’équipe dans l'Eure-et-Loir chez Medhi et Nina, les maraîchers du restaurant. Jean explique combien, selon lui, il est important pour ses cuisiniers de se rendre sur le terrain pour mieux comprendre les produits qu’ils travaillent et aller à la rencontre des producteurs : “ramener notre cuisine chez eux, qu’ils la mangent, et profitent avec nous et qu’on profite avec eux, c’est un vrai échange”.
10h28
Au fond de la cuisine, on observe Soobin qui prépare le staff meal de ce midi (mais combien sont-ils à s’affairer sur ces repas du personnel?!) Aujourd’hui, c’est carottes râpées, vinaigrette à la moutarde à l’ancienne, côte de cochon rôtie, salade verte et crumble de fruits “qui-sont-beaux-mais-pas-assez-pour-les-clients” :)
Jean nous explique aussi “c’est intéressant pour tester les stagiaires, on leur propose de faire un staff, et il faut s’organiser, ils doivent aller voir le responsable des commandes viandes quelques jours avant, le responsable des légumes… ça permet de les responsabiliser sans que ça porte trop à conséquence, avec moins d’enjeux immédiats.”
“Le staff c’est un moment de création aussi, un reste de carottes râpées se retrouve en carotte cake le lendemain” continue Jean.
10h34
"Ça fait 1 an que je suis là et maintenant je suis au poisson” nous raconte Roxane. On entend alors claironner affectueusement derrière “c’est pour ça qu’on l’appelle la morue !” (on ne dira pas qui a lâché ça!)
Elle poursuit sur la diversité des recettes du staff meal, inspirées de partout dans le monde ou d’une région de France. “On a la chance d’avoir une mixité énorme au niveau de la cuisine et de la salle. Avec une partie de l’équipe qui vient du Vietnam, de Corée, du Japon, ou d’Inde… Ce n’est pas rare qu’on retrouve saveurs et épices d’Asie dans les repas de brigade. Les plats se suivent, mais ne se ressemblent pas. Chaque mercredi et vendredi, c’est les restes, qu’on appelle malicieusement Menu Best Of.”
Quatorze personnes dans cette cuisine de restaurant étoilé et l’ambiance est à la légèreté, l’atmosphère est douce. Pas un mot plus haut que l’autre, la mise en place se fait tout en finesse et avec beaucoup de fraîcheur. Il y’a quelque chose de grandiose dans ces vastes volumes sans verbiage, où seul le bruit des bouillons et des crépitements vient contrarier le calme qui règne alentour.
10h41
A l’entrée de la cuisine, dans une petite avancée, on rencontre Divyakshi, responsable des aromates et autres herbes fraîches. “Everything with leaves, it’s me!” affirme-t-elle d’une voix fluette. Qui eut cru qu’il existait un poste pour cela ?!Il y a quelques semaines, elle a fait un butter chicken pour le staff meal, une recette de New Delhi qu’elle affectionne particulièrement : “for me, to share to my culture and my food makes me really happy”.
Le regard espiègle, Pascal Barbot se dirige alors vers elle avec une herbe mystérieuse dans les mains, impatient de la lui faire goûter. “Rau răm, c’est très très puissant!” dit-il en lui tendant la botte.
Divyakshi goûte et sourit
- “It’s spicy, chef!”
- “You can put this bit in le croquant”
- “ok chef!”
10h48
On fait un tour en salle où l’équipe passe à la loupe chaque recoin. Un tapis temporaire est installé dans le passage pour éviter les traces des va-et-vient des livreurs et de la brigade. Noé, apprenti sommelier, vérifie toutes les cartes de vin pour voir s’il n’y a aucune tâche sur les menus.
“T’imagines les pages collées à la sauce gribiche !” rigole-t-il. Le diable ne se cache-t-il pas dans les détails ?!
10h59
10h59, pétantes. Jonathan lève la voix et prévient “Vous allez manger les gars maintenant s’il vous plaît !”
Chaque membre de la brigade termine de nettoyer son plan de travail avant d’empoigner des bacs gastros emplis de victuailles fumantes, de traverser la salle, puis la rue et de se rendre au fameux restaurant en face. Imaginez un peu les automobilistes bloqués devant cette procession loufoque.
11h02
Dimitri, responsable de salle, constate le menu du jour et rigole “Comment ça y’a pas de riz ? C’est quasi tous les jours, le riz. Une journée sans riz, ça n’existe pas !”
Pour Jean, le riz sauté c’est ce qu’il préfère. C’est vrai que c’est un plat récurrent au staff meal mais “chacun a sa petite botte secrète, sa poudre magique, son épice” ce qui rend chaque fried rice unique.
Tout le monde est en file indienne pour se servir dans les bacs gastro. On dirait vraiment un self. Jonathan en rigole d’ailleurs et lâche: “On est pas chez flunch, hein !”. Puis, chacun s’installe dans la petite salle du resto, et prend sa place habituelle.
On mange dans une assiette creuse bien remplie. La salade et l’assaisonnement à la moutarde des carottes râpées ramènent de la fraîcheur en bouche, tandis que les belles tranches d’échine de cochon grillé sont d’une tendresse réconfortante. On retrouve aussi de généreuses cuisses de volailles jaunes des Landes rôties au four et Roxane a même récupéré le fond du presse fruits (qui a servi pour la marinade de crustacés) pour en faire un jus puissant aux agrumes et au gingembre. Un vrai coup de fouet !
En dessert, nous avons donc droit au crumble de fruits rouges, abricots et pêches juste tiède absolument fabuleux fait par Clara et Elliot. De quoi finir ce staff meal en beauté !
À table, les conversations fusent. De la politique intérieure et les élections, aux derniers matchs de foot de l’Euro en passant par la cuisine moléculaire d’El Bulli, les sujets sont variés. Ca switch du français à l’anglais et tout le monde a son mot à dire manifestement.
11h22
L’équipe à quitté le micro resto pour retourner à l’Astrance avant le début du service. Seuls restent désormais Pascal et Christophe, qui déjeunent légèrement en décalé. Les conversations ont changé, on parle business et projets.
On en profite pour demander : “Un staff meal qui finit à la carte d’un étoilé, ça arrive parfois ?”
Avec un brin de nostalgie, ou était-ce de la douceur, Pascal nous raconte l’histoire d’Adeline Grattard qui, au cours des trois années qu’elle a passées dans sa brigade, cuisinait souvent des aubergines à la sichuanaise. Toute l’équipe en raffollait. Lorsqu’elle a ouvert son propre restaurant, Pascal lui a suggéré de mettre ce plat à la carte. Conseil qu’elle a suivi et aujourd’hui encore, ces aubergines signent le succès de la jeune cheffe étoilée.
C’est aussi ça le staff meal : tester des recettes dans un safe space, prendre soin de son équipe, et se faire plaisir. Jean insiste “Si t’imposes de faire le staff à quelqu’un, si tu fais les choses à contrecœur, tu les fais pas bien.” .
On avait entendu parler du management de Pascal Barbot, mais ce staff meal partagé à l’Astrance nous a fait comprendre à quel point la bienveillance intrinsèque d’un homme peut infuser à chaque étage et faire d’une hiérarchie - habituellement d’autorité dans ce genre d’organisation - une hiérarchie de connaissance et d'expertise, où transmission et savoir remplacent les ordres.
Et puis c’était sacrément bon surtout, on ne va pas se mentir !!