Troisième chronique Eat Like Staff Meal aux Enfants du Marché, avec l'équipe de Michael Grosman.
Une matinée de mars 2023 aux @enfantsdumarche
10h45 : Passé la grande arcade, on s’engouffre dans un dédale de couloirs qui prend des airs de labyrinthe. Signes indiens messagers du réveil du marché - des stands que nous franchissons - s’échappent des nuages de fumée alourdis par le froid. On épie chaque recoin, s’arrêtant à tous les croisements, avançons à tâtons comme à cache-cache.
Où se trouvent-t-ils?
Trois coudées et deux chicanes plus tard, nous voilà finalement devant une montagne de cartons de pinard. Griffés “Les Enfants”.
Le jeu de piste touche à sa fin.
Décidément le plus vieux marché de Paris porte bien son nom. Nous sommes Aux Enfants Rouges.
Coiffé de son bonnet signature KWAY, Mika, le tenancier, nous fait un signe de tête et nous accueille chaudement : “Faites comme chez vous les gars”. Faut pas nous le dire deux fois ;)
On rencontre l’équipe en place, et tout en discutant des premières asperges de la saison avec Shunta, je continue d’observer Mika enchaîner sa routine matinale.
Une agente de vigneron étale ses bouteilles, et attend patiemment que Mika ait terminé avec un autre agent de vigneron.
Il goûte un vin, envoie une directive à son équipe, claque une bise au patron du stand voisin, prend un appel en haut-parleur, et sa matinée semble se résumer à l’exacte répétition de ces gestes, n’en modifiant que les destinataires et l’ordre.
Au nouveau sifflet dégusté : « Il a un goût de fraise tagada, c’est un bonbon celui-là. Tiens viens goûter Francis !”
“Bonjour Bertraaaand ! Saluuuut Francis !” une voix fluette et chantante nous percute.
Zoé vient d’arriver et salue tous les membres de l’équipe un par un. Ça chambre gentiment.
On sent le frémissement autour d’eux, une joie spontanée, des yeux sémillants, un truc qui ne se feint pas.
Nous on sait pas, on est nouveau. C’est peut être dû à notre présence, peut être car ils viennent de choper le Prix Time Out de Meilleur Taulier, peut être car s’appeler “Les Enfants” cultivent, de facto, cette candeur de la jeunesse. Ou sûrement car cette gaieté contagieuse, c’est comme ça tous les jours.
Au milieu d’une agitation organisée, l’équipe se met en place, ça dresse des tables,
Un voisin vient demander à emprunter un chariot pour transporter sa came. Des livreurs arpentent les allées à grands pas quand les badauds s’y perdent.
11h32 : Le plus souvent cuisiné par le second, Bertrand, le staff meal arrive à table, et la troupe suit en grappes.
Parfois le temps presse et les aléas du direct l’emportent. Bertrand n’a alors qu’à faire un tour de marché. Juste là tout autour. À gauche ou à droite peu importe, il tombera toujours sur une échoppe voisine prête à faire du troc.
Aujourd’hui néanmoins, l’horloge est de notre côté, le “perso” est bien calé : ce sera côtes de cochon et pommes de terre rôties. Le tout arrosé d’un jus de viande qui - avec un thermomètre avoisinant le 0 degré - a si tôt de figer à s’en faire rebaptiser “Mister Freeze Jus de Viande”.
22 bonjours, 6 coups de téléphone, 14 bises, et 10 pinards dégustés plus tard, Mika s’attable avec le reste de la team pour partager le repas.
En arrivant, il s’empare de l’ardoise posée au comptoir, et, à côté d’intitulés complets, nous fait remarquer :
“ Tu vois là? Y’a juste écrit “couteaux”?! Tout simplement parce qu’on sait pas encore comment on va les travailler”
11h35 : Une première cliente arrive, seule.
Nous on est encore attablés sur ce staff meal de compet, mais Mika se lève, lui propose une table et lui amène la carte.
Francis vient lui proposer un vin, finalement amené par Zoé. Qui lui explique une partie de la carte. Mika prend le relais et la commande. Francis revient avec le premier plat, Mika avec le second.
Une phrase de Zoé me revient à l’esprit : “Y’a pas vraiment de postes ici, tout le monde fait tout”.
En observant ce joyeux bordel, totalement atypique pour un restaurant où les process sont nombreux, la hiérarchie établie et les tâches clairement identifiées, je me dis qu’il est bien singulier celui-là, et cela ne peut fonctionner que grâce à une attention extrême et une communication ultra fluide.
Shunta sort du resto et tape un dernier A/R aux étales de maraîcher qui font office de chambre froide, récupère 3 agrumes et retourne à son poste au pas de course.
Enfin “resto”, pas sûr qu’on puisse l’appeler ainsi.
Resto, oui quand arrivent devant toi les assiettes ciselées, les quilles haut du panier, et ce service si personnel, amical et même attachant.
Mais sinon c’est plus un stand, une sorte de vaisseau spatial à ciel ouvert, sans back of house, où tu peux tout reluquer par dessus le bastingage, esprit zéro esbroufe.
Ça fait un peu îlot, un poil surpeuplé, au milieu d’un archipel.
Un espace à part certainement, et qui pourtant forme partie de ce tout qu’est le marché qui le couve.
Jusque dans son nom. Fragment, moitié, organe vital du véhicule. Les Enfants… du Marché des Enfants Rouges.
Et j’entends encore la métaphore footballistique de Mika résonner : “le 12e joueur de l’équipe, le 12e homme, c’est le marché”.