Deuxième chronique Eat Like Staff Meal au Robert, avec l'équipe du chef Jack Bosco.
Mercredi, 17h08 : comme d’habitude on est presque à l’heure au rdv donné. Et comme d’habitude en ces journées de grand hiver, la nuit - aussi longue qu’un jour d’été - est déjà tombée sur la rue de la Fontaine au Roi.
Derrière le froid d’une fin novembre et des échafaudages peu accueillants, se dévoilent une baie vitrée et la lumière douce et chaude du restaurant Robert.
On en pousse la porte. Les vibes de Dreams de Fleetwood Mac emplissent nos esgourdes, et nous réchauffent déjà un peu.
Ben nous a vu. Il nous sourit, nous salue puis nous invite à poser nos affaires où l’on souhaite. Instinctivement, les assises hautes du bar ont notre préférence et accoudés au zinc débutent alors les présentations avec Amélie, la sommelière, et Ben.
On glisse ensuite au passe de la cuisine. Passe qui donne directement sur la salle avec cette vaste cuisine ouverte d’un seul tenant. Passe aussi où l’on fait la connaissance de Jack avec qui la conversation s’entame en anglais sur un fond d’Hotel California.
Décidément très rock cette playlist aux mains de la cuisine. Elle qui est arrivée dès 14h pour faire la mise en place du soir, et qu’on imagine ultra calée sur le répertoire anglophone des 50 dernières années. Pensez à les prendre dans votre team au prochain blind test.
Le chef nous présente Chris et Connor, ses deux acolytes - et potes - rencontrés au Grand Bain avec qui il semble partager bien plus qu’un simple job.
Curieux, on fait alors le tour des gastros, casseroles et rondeaux.
La cuisine - aménagée autour d’un piano central dont on fait le tour - donne à cette rencontre des allures de visite guidée.
Des légumes en papillote, légèrement brûlés, sont sortis du four. Chris émiette une tête de cochon et en récupère les oreilles pour en faire une terrine marbrée.
Connor quant à lui s’attèle à refermer des ravioles remplis d’une farce de homard et potimarron.
Et Dhammika, employé le plus ancien du resto, qui termine sa plonge, ganté de jaune.
Dans les enceintes jouent alors Boys don’t Cry des Cure, et les anglos de la cuisine commencent à siffloter. Puis finissent par chanter, l’entrain chevillé au corps.
Ils sont à deux doigts de s’emparer des casseroles et de nous faire du air guitar.
Chris fait maintenant dorer des samossas à la poêle qui seront pour le personnel, tandis que Connor se confie :
“On participe un peu tous au staff meal, on décide généralement la veille pour le lendemain ce qu’on va se préparer au staff meal pour qu’on puisse se commander de la viande exprès. C’est pas à base des restes, c’est plutôt rare, dans mon ancien taff c’était aussi calculé en fonction des restes, ici c’est nice”
17h42 : De retour en salle, on observe Ben sortir une épaisse chemise bleu bourrée de papelards et s'asseoir seul à une table dégagée. En sa qualité de manager du resto et 30 du mois oblige, une session comptabilité s’impose. Il vérifie les bons de livraison, que les gens pressés appellent « BL », et les factures que les gens pressés appellent toujours factures.
Dans son grand manteau en peau lainée, Amélie revient tout juste d’une course de proximité. Elle est allée chercher une bouteille de bière artisanale chez les voisins de La Liquiderie qu’elle servira pour le staff meal, « special treat » réservé d’habitude au perso du samedi. On rebaptise alors ce jour “mercremedi”.
18h04 : les cuistots ont disposé le repas du personnel sous les lampes chauffantes du passe, où s’enfilent désormais un curry d’agneau, des chapatis, une sauce yaourt/pickles/herbes, des samossas de betterave, et un chutney confectionné sur le vif à partir des kakis qu’on avait ramené en guise de “cadeau”.
Elle s’est installée sur une chaise haute derrière le bar, et un sourire aux coins des lèvres, fixe son téléphone. Avec un rire étouffé qui fera office de confession, elle nous avoue regarder ses sons les plus écoutés de l’année sur Spotify. Ce moment qu’on attend tous, au cours duquel on découvre qu’une chanson inavouable (ou plus!!) s’est glissée dans le top 5. Pour Amélie, les Smith arrivent en tête de peloton. Elle s’entend sûrement bien avec les cuistos.
17h57 : Léo vient d’entrer dans le resto. Léo s’occupe du service avec Amélie. Son shift (et donc sa paye) ne débute qu’à 18h30 mais il arrive une demie heure plus tôt pour profiter du repas avec l’ensemble de l’équipe.
Jack nous explique que - dû aux communautés indiennes et pakistanaises - le curry est désormais presque un plat national, tout du moins typique, en Grande Bretagne.
“Where I come from in England we do a lot of curries, and it's winter, it’s comfort food!”
18h06 : Jack lâche un « Let’s go guys » énergique et ses deux compères de cuisine lâchent quant à eux ustensiles et casseroles pour une assiette bien remplie.
Pas question de traîner, le bleu de chauffe se renfile dans 25 minutes.
On se sert aussi (c’est quand même le but de la chronique!!) et on a beau prendre qu’un peu de tout, à la fin du buffet, les auges sont fuselées comme des terrils.
Difficile d’ingurgiter à 18h un tel repas pour nous. Mais pour nos hôtes il s’agit en fait du seul vrai repas de la journée, eux qui nous confient manger un simple encas histoire de tenir jusqu’au staff meal. “J’ai mangé un fruit à 14h, et un croissant aussi” nous raconte Ben.
Amélie a dressé une table communale où l’on tient tous. Plusieurs conversations s’installent mais aucun téléphone n’est sorti.
Si ce n’est pour nous montrer une photo des burgers qu’avait cuisiné Chris récemment, incontestablement le plus gourmand des staff meal de ces derniers mois, le désormais fameux “burger poulet frit incroyable, avec des concombres en pickles et des super pommes de terres, des potatoes faites maison avec de la croustillance” nous conte Amélie.
On enquête sur le nom du restaurant. Robert. C’est le nom du grand-père du premier chef Peter Horr. Léo ajoute : “Finalement c’est sympa de rendre hommage à quelqu’un qu’on ne connaît pas” lui qui ne l’a jamais rencontré.
Et Ben renchérit malicieusement : “je pense qu’il serait fier de nous là maintenant”.
Au compte goutte la tablée se lève et chacun reprend ses missions.
Seul Ben, qui mange particulièrement lentement, reste à table, lui qui confectionne chaque bouchée à la perfection. “Il fait toujours des fourchettes parfaites, pas trop de carottes, un peu d’agneau, un pickle,...” s’en amuse Amélie.
On nous propose une part de la tarte au chocolat qui reste du service d’hier soir. Amélie et Léo s’en gardent aussi une petite assiette déposée sur l’arrière bar. Elle y trônera tout le début du service, tandis qu’eux, entre deux tâches, viendront y piocher de temps à autre.
Étrange proposition durant l’hiver, Amélie nous offre aussi un verre de café glacé. “C’est une tradition que j’ai récupéré de Valentine qui était là avant moi. Je fais du café en arrivant à 15h, je laisse reposer toute l’aprem, je le presse juste avant le staff meal et je le mets dans la glace et après dans un petit verre et tout le monde a son café. Ça rafraichit après manger, et ça te donne un petit coup de boost”.
18h48 : Le service va bientôt débuter. Ben reprend alors le contrôle de la musique aux mains des anglais pour imposer un style plus consensuel et posé.
Depuis le laptop niché sur son pupitre, il annonce à la salle les dernières résas qui viennent juste de tomber.
Amélie et Léo réajustent 2-3 tables et quelques couverts en fonction.
19h03 : Un couple d’américains entre. Ben les reçoit avec délicatesse mais l’ambiance ne change pas d’un iota. Il leur propose de s'asseoir où ils le souhaitent. L’équipe continue à s’affairer. On perçoit cette juste distance dans le service - ce truc infime qui se joue sur le fil du rasoir - pour que les clients se sentent complètement chez eux, à la fois libres mais aussi accueillis et encadrés.
J’ai l’impression de revivre notre arrivée. Cette impression qu’il n’y a pas vraiment ni clients ni staff ni cuisine, qu’on pousse la porte de Robert comme celle d’un ami qui nous attendrait. Et qu’on est tous là pour passer un super moment.